Mince alors ! Perdre du poids semble plus facile que jamais. Du moins, c’est ce que nous répètent les vidéos virales, les avant/après spectaculaires et les promesses de transformation express qui inondent nos écrans. Régimes ultra-restrictifs, pilules miracles, médicaments détournés, chirurgie esthétique… L’industrie de la minceur, toujours plus inventive, façonne de nouveaux diktats et capitalise sur nos complexes. Ce business florissant trouve sa place dans un contexte inquiétant : l’obésité est en forte hausse. En 2022, 2,5 milliards d’adultes étaient en surpoids, dont 890 millions souffraient d’obésité, soit 43% de la population adulte dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Après l’ère du “light” et du 0%, voici venu le temps des solutions médicalisées, où même des traitements destinés aux diabétiques, comme l’Ozempic, sont détournés pour accélérer la perte de poids.
Ghita, la trentaine, en a fait l’amère expérience. Persuadée d’avoir trouvé la solution miracle, elle a dépensé plus de 100.000 dirhams dans des pilules minceur et des séances de coolsculpting et de cryolipolyse. Trois ans plus tard, les kilos sont revenus, ses économies se sont envolées et son médecin lui a diagnostiqué un trouble alimentaire sévère. “On banalise trop souvent le surpoids et l’obésité, alors qu’ils sont bien souvent liés à de véritables troubles du comportement”, témoigne-t-elle. Comme elle, des milliers de femmes se laissent happer chaque année par un marché qui prospère sur leurs insécurités. Car derrière ces tendances, se cache un business en or, où chaque kilo perdu rapporte gros. “Mincir n’est malheureusement plus seulement une quête personnelle, c’est devenu un véritable business ultra-rentable”, explique Mehdi Aouad, médecin spécialiste en nutrition et maladies métaboliques.
Les influenceurs minceur
Sur les réseaux sociaux, une armée d’influenceurs érige la minceur en mode de vie. Vidéos virales, conseils “révolutionnaires”, témoignages bluffants : les success stories s’enchaînent, toujours plus spectaculaires. Les promesses de transformation physique rapide pullulent: “Perdez 5 kg en 3 semaines !”, “Affinez votre silhouette sans effort !”, “Brûlez les graisses avec ce complément miracle !” Autant de slogans accrocheurs derrière lesquels se cache une mécanique bien huilée. Chaque publication s’accompagne d’un lien sponsorisé menant à des brûleurs de graisse “100 % naturels”, des régimes ultra-ciblés ou des coachings express promettant un corps sculpté en un temps record.
Mais derrière ces promesses séduisantes se cache une réalité plus complexe. “Cette obsession pousse beaucoup de gens à chercher des résultats visibles en quelques semaines, sans comprendre que le corps fonctionne sur le long terme”, explique la personal trainer Khadija Cabrane, alias Coach Katy. “Construire un physique sain et harmonieux demande de la patience, et surtout une approche adaptée à son propre métabolisme”, ajoute-t-elle. Une transformation rapide repose souvent sur des restrictions excessives et des entraînements intenables, conduisant à la frustration et à l’effet yo-yo. “Trois semaines, c’est bien trop court pour que le corps puisse réellement s’adapter !”
L’assiette elle-même se conforme aux tendances. Exit l’avocat et le saumon, place au kéfir, au matcha et aux baies d’açai, érigés en super-aliments incontournables. Dans l’univers ultra-codifié du “manger healthy”, chaque bouchée devient un “statement ”: un smoothie vert pour détoxifier, une cuillère de beurre d’amande pour l’énergie, une pincée de graines de chanvre pour les protéines. Sur les réseaux, les influenceuses exhibent des bols colorés, calibrés au gramme près, où granola croustillant et fruits exotiques s’entrelacent dans une esthétique parfaite. Une vision idéalisée de l’alimentation, bien loin des réalités quotidiennes de la majorité des femmes. Pourtant, aucun aliment ou produit miracle ne garantit une perte de poids durable. “Il n’y a pas d’aliment supérieur à un autre. L’essentiel est de privilégier une alimentation variée et équilibrée, combinant viandes, poissons, fruits, légumes et céréales”, rappelle le nutritionniste Mehdi Aouad.
Et quand la rigueur alimentaire ne suffit plus, l’industrie sort l’artillerie lourde. Les pilules minceur font un retour en force, les compléments “détox” pullulent et les traitements médicaux s’invitent dans le débat. Des injections de sémaglutide, initialement prescrites aux diabétiques, sont désormais détournées pour accélérer la perte de poids. Une mode qui alerte les médecins, mais qui prospère, portée par des célébrités qui affichent des silhouettes sculptées sans jamais révéler l’envers du décor. “Il est très dangereux d’ingérer tout et n’importe quoi en espérant un résultat express”, alerte la nutritionniste et diététicienne Yassamine Ougaddoum. “Les coupe-faim, par exemple, peuvent sembler efficaces à court terme, mais ils restent risqués. Certaines fibres solubles comme le glucomannane gonflent dans l’estomac et réduisent légèrement l’appétit, mais ces produits contiennent souvent de la caféine ou de la sérotonine, qui peuvent engendrer nervosité, dépendance et autres effets secondaires.”
Dans cette course effrénée vers la minceur idéale, la frontière entre bien-être et obsession se brouille. Et celles qui s’y perdent ne trouvent pas toujours d’issue. “Il est important de rappeler qu’aucun complément alimentaire ne brûle les graisses de façon significative”, insiste la nutritionniste. Certains ingrédients, comme la caféine ou le thé vert, peuvent augmenter légèrement la dépense énergétique, mais l’effet reste marginal. Quant aux célèbres thés “détox”, ils ne font que jouer sur une illusion. “Les reins, le foie et les intestins assurent naturellement la détoxification. Ce que ces produits provoquent, c’est avant tout une perte hydrique temporaire, souvent confondue avec une véritable perte de poids.” Un mirage bien rodé, où marketing et pseudo-science s’entrelacent pour entretenir l’espoir d’une transformation rapide et sans effort. Pourtant, derrière les promesses scintillantes des influenceuses et les silhouettes lissées des campagnes publicitaires, la réalité est bien plus brutale: “la minceur à tout prix a un coût, et c’est souvent la santé qui trinque”, insiste Mehdi Aouad.
Quid de la chirurgie bariatrique ?
Quand les régimes et les traitements minceur ne suffisent plus, la chirurgie bariatrique s’impose parfois comme une alternative. Mais à quel moment franchit-on la frontière entre nécessité médicale et diktat de la minceur ? “Elle devient une nécessité lorsque le patient présente un IMC supérieur à 40, ou supérieur à 35 avec des comorbidités comme le diabète, l’hypertension ou l’apnée du sommeil”, explique Amine Rafik, spécialiste en chirurgie plastique réparatrice et esthétique. Ici, il ne s’agit plus de répondre à une injonction esthétique, mais de préserver la santé, voire la vie du patient. Une décision qui repose sur une évaluation médicale, psychologique et nutritionnelle rigoureuse, loin des pressions sociales omniprésentes.
Pourtant, sur les réseaux sociaux, la chirurgie minceur se banalise. Liposuccions express, body contouring et mini-bypass sont parfois vendus comme des solutions rapides et sans conséquences. “Même si ces techniques sont bien maîtrisées, elles restent des interventions chirurgicales avec des risques et des exigences post-opératoires”, rappelle le spécialiste. Or, à coup de témoignages “avant-après” spectaculaires, certains influenceurs normalisent l’idée d’un corps sculpté en un passage au bloc, occultant les contraintes et le suivi nécessaires.
Dans cette logique de “tout, tout de suite”, certains centres privés surfent sur la tendance en proposant des “packs minceur” combinant chirurgie, coaching et suivi allégé. Une approche qui peut être bénéfique si elle repose sur une prise en charge pluridisciplinaire sérieuse (chirurgien, nutritionniste, psychologue, kinésithérapeute). Mais elle vire parfois au pur marketing. “Trop souvent, ces offres misent sur une logique commerciale plus que médicale, avec un suivi insuffisant et une promesse de transformation rapide qui ne tient pas sur le long terme”, met en garde Dr. Rafik. Car la chirurgie n’est pas une baguette magique. Elle reste un outil thérapeutique qui n’a de sens que dans le cadre d’un changement global de mode de vie. “Sans adaptation alimentaire, sans activité physique et sans suivi psychologique, la reprise de poids est presque inévitable”, insiste-t-il. C’est là que réside le véritable enjeu : faire de la chirurgie un point de départ, et non une fin en soi.
Encore faut-il être un bon candidat. Outre les critères médicaux, la motivation joue un rôle clé. “Il faut être prêt à changer son hygiène de vie, bien informé sur les risques et les limites de l’intervention, et accompagné sur le long terme.” À l’inverse, une demande purement esthétique, un trouble du comportement alimentaire non stabilisé ou une attente irréaliste sont autant de signaux d’alerte. “Nous ne sommes pas là pour vendre des corps parfaits, mais pour soigner. Parfois, le meilleur soin, c’est de dire non”, tranche le chirurgien.
Une question d’équilibre
Les discours des spécialistes sont unanimes : perdre du poids ne se résume pas à une simple équation calorique ou à une course contre la montre. Pour Mehdi Aouad, l’alimentation reste la clé, non pas sous forme de privations drastiques, mais d’un équilibre nourrissant et adapté à chacun. “Le problème avec les régimes drastiques, c’est qu’ils ne sont pas tenables sur le long terme”, prévient le spécialiste en maladies métaboliques. “Le corps finit par compenser, et l’effet yo-yo est quasiment inévitable. Il ne faut pas voir la perte de poids comme une phase temporaire, mais comme un changement progressif d’habitudes alimentaires.”
Pour lui, l’enjeu est surtout de réapprendre à manger, sans culpabilité ni obsession. “Ce qu’il faut, c’est se reconnecter à ses sensations de faim et de satiété, et privilégier une alimentation naturelle et variée. Les protéines, les fibres et les bonnes graisses sont essentielles pour maintenir un métabolisme actif et éviter les fringales incontrôlées.” Un avis partagé par Yassamine Ougaddoum, qui met en garde contre les solutions miracles : “Il faut arrêter de diaboliser certains aliments ou d’en glorifier d’autres. Aucun aliment n’est ‘magique’, pas plus qu’il n’est “toxique”. Ce qui compte, c’est la cohérence globale de l’alimentation sur la durée.”
Mais si l’alimentation est le socle d’une perte de poids saine, le sport joue aussi un rôle crucial. Un rôle que Coach Katy défend avec conviction. “On me demande souvent s’il est possible de perdre du poids uniquement en faisant du sport sans changer son alimentation. Ma réponse est claire : non. Le sport ne peut pas compenser une mauvaise hygiène de vie”, tranche-t-elle. “En revanche, il est un formidable outil pour transformer son corps durablement. En renforçant les muscles, on augmente naturellement son métabolisme, ce qui favorise la combustion des graisses.” Et d’ajouter : “La clé, c’est la progressivité. Il faut laisser au corps le temps de s’adapter, d’intégrer de nouvelles habitudes”, explique coach Katy. Son conseil pour éviter l’effet “tout ou rien” ? Revoir sa relation à l’effort et au temps. “De nombreuses personnes veulent des résultats immédiats et, au moindre écart, ils abandonnent. Mon rôle, c’est justement de leur montrer que chaque petit progrès compte. Se fixer des objectifs réalistes, fêter ses victoires, ne pas culpabiliser en cas de baisse de motivation… C’est ainsi qu’on crée un mode de vie sain sur le long terme.”
Ainsi, bien maigrir, c’est avant tout repenser sa relation à la nourriture, au mouvement et à son propre corps. Accepter que la santé et l’esthétique ne sont pas incompatibles, et que le chemin vers le bien-être ne passe ni par la souffrance ni par les diktats de la perfection.